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Portrait de Spès Niyonzima, pionnière dans l'éducation physique et sportive au Burundi

Mercredi 8 mars 2023
#Burundi
#mixité

En cette journée internationale des droits de la femme, nous avons souhaité mettre à l'honneur le parcours de l'une de nos collaboratrices du Burundi, Spès Niyonzima. Notre chargée de projet est l'une des premières burundaises a être diplômée de l’Institut d’Éducation Physique et des Sports. 

 

Spès
Spès Niyonzima, Cheffe de projet Burundi

 

Peux-tu te présenter s'il te plaît ?

Je suis née au Burundi au centre du pays dans la province de Gitega, commune Itaba. J’ai 42 ans et j’ai 5 frères et 2 sœurs. Je suis mariée et mère d’une jeune fille. Je travaille pour l’Association pour la Promotion de la Fille Burundaise (APFB) dans le cadre du partenariat avec PLAY International.

 

Depuis combien de temps travailles-tu avec PLAY International ? Et pourquoi ce choix ?

J’ai commencé à travailler chez PLAY International en mai 2016. J’ai connu PLAY International en 2009 quand j’étais en 2ème année à l’université du Burundi à l’Institut d’Éducation Physique et des Sports (IEPS). Sport Sans Frontières (ancien nom de PLAY International) avait un partenariat avec l’IEPS et formait des étudiants sur le sport inclusif qui peut apporter des réponses concrètes à des problématiques sociales et sanitaires, y compris dans les situations les plus précaires. Je faisais partie des étudiants formés. C’est à partir de ce moment que j’ai découvert qu’à travers le sport on peut faire passer différents messages. Cela m’est resté en tête et je rêvais toujours de développer mes compétences dans ma vie future. Après mon cursus académique, j’ai été embauchée dans un lycée public à Bujumbura. J’avais beaucoup de souci à dispenser mon cours d’éducation physique car il n’y avait aucun support pédagogique alors que je devais enseigner à plus de 1 000 élèves par semaine. Grâce aux compétences que j’ai acquises avec Sport Sans Frontières et l’accompagnement en matériel,  j’ai réussi à dispenser mon cours dans des conditions minimales. Sport Sans Frontières est restée toujours à mes côtés sur le plan pédagogique et sa méthodologie m’aidait beaucoup pour dispenser ma leçon. J’avais alors envie d’intégrer PLAY pour développer davantage le côté inclusif du sport. En 2016, j’ai vu un appel d’offre. J’ai postulé et mon rêve a été réalisé, j’ai intégré PLAY International.

 

Playground
Playground en octobre 2017 à Paris

 

En quoi consiste ton poste de Chargée de projet ?

Mon poste consiste à appuyer la mise en œuvre des projets menés en partenariat par les deux organisations (APFB/PLAY International). J’assure ainsi la coordination et le déploiement des activités et contribue à l’échange de compétences entre les membres des deux structures (appuyer la synergie entre les partenaires, coordination et animation pédagogique, coordination et animation des projets...).

 

Atelier et formation
Atelier et formation avec des cadres du Ministère de l’éducation et des formateurs de formateurs / Ejo

 

 

 

Il paraît que tu es une des premières femmes ayant fait STAPS au Burundi… Tu es une pionnière ! Peux-tu nous raconter ton parcours ? Comment ton entourage a-t-il réagi ?

Je fais partie des 5 premières femmes ayant été à l’IEPS. Comme j’ai grandi avec des frères, je participais à tous les jeux avec eux sans me soucier de rien jusqu’au début de la puberté. Mais à partir de la puberté avec l’apparition des caractères sexuels secondaires mes parents ont commencé à me limiter à la pratique sportive avec mes frères. Ils me disaient que j’ai grandi et que je n'était plus autorisée à me comporter comme avant car c’est mal vu dans la société. A partir de là, j’ai abandonné la pratique sportive et je ne faisais du sport qu’à l’école. J’ai continué mes études secondaires jusqu’à la fin dans la section des lettres modernes et la pratique sportive était minimisée.

J’ai eu la chance de réussir l’examen d’état et j’ai été orientée vers l’IEPS. Ce n’était pas mon choix car j’étais nulle dans ce domaine et je ne savais pas que cette branche existait à l’université. Mais j’ai choisi d’y aller par curiosité étant donné que le Président de la République de cette époque était lauréat de cet institut. Cela m’a donné du courage. Après y être arrivée, j’ai été surprise de trouver qu’il y avait très peu de filles et j’étais la seule dans ma promotion. Cela m’a beaucoup découragée et j’ai voulu quitter l’institut pour aller dans d’autres facultés où il y a des filles. Les membres de ma famille et l’entourage me disaient qu’il n’y pas de filles qui fréquentent l’Institut d’éducation physique et qu’il faut que j’aille ailleurs. Certains m’ont même aidée à chercher des faux documents disant que j’ai une maladie chronique m’empêchant toute pratique sportive pour que je change de faculté. Je suis allée déposer ces documents à l’administration de l’institut et on m’a dit que c’était trop tard pour changer de faculté. Je suis restée là mais sans aucune motivation car je me disais que j’attendais la fin de l’année académique pour changer de faculté.

 

Comment se comportaient les étudiants de ta promotion avec toi ?

Je portais de longues robes et jupes et on se moquait de moi en me disant qu’une sportive ne porte jamais des vêtements dits : « rideaux ». Le pire moment était la période d’intégration où je devais faire tous les rites parmi une vingtaine de garçons.

A ce moment, mes camarades m'accompagnaient et me conseillaient en me disant que c’est un atout de pouvoir être la seule fille et que je serai privilégiée plus que les garçons. Tout cela ne me donnait pas pour autant de l’espoir comme je ne voyais pas d’autres filles. C’est à partir du moment où j’ai rencontré Sylvie Hatungimana, une femme professeure de plus de 50 ans qui a fréquenté l’institut que j’ai commencé à avoir de l’espoir. Elle me donnait des cours de gymnastique féminine et de chorégraphie J’admirais son dynamisme et sa performance. Elle m’enseignait toute seule car la gymnastique féminine et la chorégraphie étaient réservées uniquement aux filles. Elle m’encourageait beaucoup, me donnait beaucoup de conseils, me partageait ses expériences car elle a été la première femme au Burundi qui a fait l’institut. Grâce à son accompagnement, j’ai fini par aller jusqu’au bout de mon cursus. Mais en rentrant dans mon village natal, j’avais du mal à m’adapter à la société car je portais des pantalons alors que la culture burundaise restreint les filles de la campagne au port de ces genres de vêtements. Les gens me disaient que j’avais changé de démarche et de comportement. Tout le monde me regardait des orteils jusqu’aux cheveux… Bref, je me sentais gênée et je n’avais pas envie d’y retourner. Mais au fur et à mesure, la société a fini par comprendre que c’est normal. Mais, à ce jour je suis la seule fille de ma région natale qui a fréquenté l’IEPS. Les autres ne veulent pas y aller car elles disent que c’est très fatigant.

Quand j’ai été embauchée pour dispenser le cours d’EPS au lycée public, tout le monde a été étonné ! Une femme qui dispense le cours d’EPS ? Se posaient-ils cette question. Que ce soit les professeurs, la communauté scolaire, l’entourage, étaient tous surpris de me voir en train de dispenser ce cours. Pendant ma leçon, c’était comme s’il y avait un spectacle. Tout le monde approchait pour apprécier ma leçon. J’étais la seule femme sur le territoire national qui enseignait le cours d’EPS. Pour valoriser mon métier, j’ai été nommée comme présidente du ping-pong  scolaire en Mairie 2.

Le soir je m’occupais des femmes musulmanes avec des séances d’aérobie et j’étais tellement contente de pouvoir accompagner cette communauté qui est limitée à pratique sportive en plein air.

 

Que penses-tu de la place de la femme dans la société burundaise ?

Pour le moment, la femme burundaise a une place importante dans la société car elle est représentée à plusieurs niveaux et a une liberté d’expression même si on n’a pas encore abouti à 100%.

Je souhaiterais m’impliquer dans le domaine de la défense des droits de la femme et du plaidoyer pour la promotion de la pratique sportive féminine et surtout le sport à caractère inclusif.

 

Peux-tu nous parler du « Club des championnes » que vous avez mis en place ? Quel impact cela à sur les enfants, filles comme garçons ?

Après avoir observé des absences des filles dans les activités sociales et sportives sur les différents terrains instaurés par PLAY International en raison de certaines barrières culturelles, de l’ignorance des filles, et de la pauvreté des familles qui oblige les petites filles à rester à la maison pour des travaux ménagers, l’APFB a instauré le club des filles des championnes-pilotes en Mairie de Bujumbura pour aller vers l’éradication de ce phénomène. Ces filles championnes ont fait plusieurs tournées pour sensibiliser les jeunes filles et garçons sur les bienfaits de la pratique sportive et leur impact positif qu’elle génère. Les enfants, que ce soit les filles et les garçons ont compris les messages de ces filles championnes et sont allés à leur tour sensibiliser la communauté. On a remarqué par la suite une augmentation de participation des filles dans les activités avec ce nouveau dispositif et les garçons commencent à comprendre que le partage des rôles sociaux et la participation dans les activités sportives de tous les enfants (filles et garçons) ont des effets positifs pour le bien-être familial.

 

Club des champioones
Suivi et accompagnement des activités dans le cadre du "Club des championnes" à Rutana (septembre 2022)

 

Club des championnes
(De gauche à droite) Fabrice, coordinateur des programmes chez PLAY,
médiatrice et représentante légale de l’APFB, Ciella Niragira, judokate,
Santiana, chargée de suivi APFB, Chelsea Césarée, responsable danse traditionnelle et Spès, chargée de projet PLAY

 

Des femmes t’ont-elles inspirée ?

Oui, premièrement comme je l’ai déjà signalé, j’ai été inspiré par mon professeure Madame Sylvie Hatungimana et qui est directrice académique à l’université du Burundi et lauréate de l’IEPS, et Madame Lydia Nsekera qui est présidente du comité national.

 

As-tu un message à transmettre aux jeunes filles pour leur avenir ?

J’invite et encourage les jeunes filles burundaises à être curieuses et sortir de leur zone de confort pour découvrir ce qui se fait dans tous les domaines de la vie. Cela leur permettra de s’orienter dans leur vie professionnelle.

 

Equipes PLAY et APFB
Equipes PLAY (2022) et APFB